Le Mystère de la Miséricorde
HOMELIE POUR LE VIIe DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
ANNEE C
LE MYSTERE DE LA MISERICORDE
Lc 6, 27-38
Difficile de vivre le Ciel sur la Terre.
Pour nous préparer au carême, un texte qui devrait nous faire du bien parce qu’il fait la promotion de ce que vous et moi, nous recherchons : vivre ensemble en harmonie. Un texte qui ouvre sur un comportement de sainteté. Pourtant cette page si désirée, est l’une des plus difficiles de l’Évangile. Difficile de vivre le Ciel sur la Terre. Et pourtant c’est de cela dont il s’agit. Mais comment est-ce possible ? Comment est-ce possible de nous faire du bien entre nous. De souhaiter du bien aux autres. Prier pour ceux qui nous en veulent. ? Pas évident.
Nous sommes aux antipodes de l’attitude de David qui s’est refusé de tuer son rival alors qu’il l’avait dans sa main. Noble comportement que celui de David. Nous, nous empressons de tuer avant d’être tué. Résultat : des scènes d’horreur, la sauvagerie des tueries en Ukraine, au Moyen Orient, en RDCongo et partout ailleurs.
Les armes tuent. La parole aussi tue.
Nos jugements, nos regards sont des armes de guerre que nous utilisons à merveille. Nous nous tenons souvent à distance « de ce que vous voulez que les autres vous fassent ». Cette page nous pousse à nous remettre en question, à nous interroger sur « comment » nous traitons l’autre, notre voisin, notre partenaire de vie. Il est toujours plus facile de faire du bien à ceux qui sont au loin qu’à nos proches.
Un vrai chemin de libération intérieure
Pour vivre cette page, il faut d’abord parcourir un vrai chemin de libération intérieure. Saint Paul nous a dit tantôt qu’avant d’avoir des comportements dignes, « spirituels » qui confirment que nous venons du ciel, nous avons en priorité des comportements « pétris de la terre ». Aux Éphésiens, il précise ce que signifie d’avoir des comportements « pétris de la terre » : « faites disparaître de votre vie, tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix, insultes, toute espèce de méchanceté. » Paul ne se contente pas de nous en limiter à ce programme, il ajoute « soyez entre vous pleins de tendresse.

Cherchez à imiter Dieu (Eph 4, 30 -5,2)». « Le Seigneur est tendresse et pitié » (Ps 102) Nous donner des comportements de tendresse, de compassion, de miséricorde confirme que nous sommes nés « à l’image de celui qui vient du ciel » (2ième lecture).
“Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.”
Mais lequel d’entre nous peut se dire miséricordieux comme le Père ? Et surtout tout le long du passage de cet Evangile, il y a comme un trop plein d’exigences, une accumulation de difficultés.
Il y a comme une forme d’écrasement de soi-même dans cette nouvelle loi. Il y a comme une soumission à la loi du plus fort. Est-ce la joue tendue, qui me fait dire cela ?
“Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment”
Et puis, Jésus nous demande d’aimer ceux qui ne nous aiment pas, au prétexte que les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Arrêtons-nous sur cette phrase, car elle est curieuse cette expression. Elle mérite peut-être d’être approfondie.
Cette formule est peut-être une clé pour entrer dans une meilleure compréhension de ce que veut le Christ pour nous. Car enfin, c’est une bonne nouvelle que nous venons de lire.
“Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment”. En fait, il n’y a pas le reproche d’aimer ceux qu’on aime, mais le reproche d’aimer ceux qui nous aiment. Ainsi aimer ceux qui nous aiment, c’est aimer ceux qui nous glorifient C’est aimer ceux qui nous voient plus grands que nous sommes en réalité. C’est nous admirer nous-même dans le regard des autres. Ce qui nous est demandé est bien différent. Ce qui nous est demandé est de l’ordre du don total et de l’oubli de soi.
Mais comment cela est-ce possible ?
Trois personnes nous permettent de rendre l’impossible possible :

Le Père
En premier lieu, n’oublions jamais que nous sommes créés à l’image de Dieu. Acceptons qu’en nous subsiste la marque de l’amour infini d’un Père miséricordieux. Réalisons qu’en nous est semé le germe de l’amour et que nous sommes capables nous aussi les êtres humains de déborder d’amour.
Le Fils
En second lieu, rappelons-nous que notre baptême fait de nous des fils et filles de Dieu, des frères et sœurs de Jésus-Christ. Le Christ lui-même nous tient la main pour nous aider à voir notre péché et ainsi nous oublier nous-mêmes et nous ouvrir totalement aux autres.
L’Esprit
Enfin, l’Esprit-Saint nous aide à discerner dans chaque rencontre la présence du Seigneur, y compris dans cette rencontre douloureuse pour notre joue, même dans la rencontre de celui qui nous a dépouillé de notre manteau.
Rendre possible l’impossible
Certains d’entre nous, ont rendu possible ce qui nous semble impossible, je n’en citerai que trois mais ils sont très nombreux :

Saint Martin qui a partagé son manteau avec un pauvre transi de froid. Martin est alors un officier de la légion Romaine. Il est habitué à être admiré. Peut-être aime-t-il ceux qui l’aiment. Mais ce jour de froid, il oublie sa dignité d’officier et la donne a un pauvre. La nuit suivante, il va rêver du Christ vêtu de la moitié de son manteau.

Saint François d’Assise qui pour le coup aime ceux qui l’aiment au début de sa vie, se convertit après une maladie et une illumination devant le crucifix de San Damiano. Sa conversion le conduit sur les chemins de la pauvreté et du don total. Il aime ses ennemis dans la rencontre qu’il fait à Damiette en Egypte avec le sultan Al-Kamel.

Et enfin plus près de nous, sainte Teresa de Calcutta qui soignera toute sa vie ceux qu’on ne doit pas toucher. J’ai eu la chance de la rencontrer quand j’étais étudiant à Rome. Infatigable Teresa, petite femme qui vit la nuit et l’abandon de Dieu, donnera au-delà de tout et vivra complètement l’oubli de soi.
Qu’est-ce que les exemples de ces saints évoquent-ils pour nous ?
Ils nous disent qu’un chemin dans cet Évangile est possible pour chacun de nous. Ils nous disent que c’est un chemin d’abondance sur lequel chacun reçoit une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante. Voici, les fruits de la nouvelle loi de Jésus que nous recevons aujourd’hui.
Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses.
Seigneur, apprends-nous à aimer. Apprends- nous à accueillir ton amour pour nous, et à devenir, à ton image, source d’amour pour ceux qui nous entourent. À l’image de ce que tu fais pour nous, nous voulons aussi essayer d’aimer ceux qui nous entourent, pour eux-mêmes, même lorsque leurs attitudes ou leurs actes nous blessent profondément. Aide- nous dans ces moments-là à nous poser cette petite question simple :
« Que ferait Jésus à ma place ? »
Amen !
Abbé Willy Mirindi