Toi, le mendiant, qu’as-tu à me donner ?
Tu es venu pour recevoir : qu’as-tu à offrir ? C’est moi qui te tends la main ! Que vas-tu me donner ? Dans son homélie du 18 août 2024, l’abbé Willy nous met devant notre faiblesse humaine : vouloir recevoir sans donner.
Jn 6, 51-58 Sans doute avez-vous déjà entendu cette parabole racontée par le poète indou Tagore : « J’étais allé, de porte en porte, en mendiant. Je n’avais rien, j’espérais tout et puis, sur le chemin du village, ton char apparut au loin, pareil à un rêve splendide et j’admirais quel était ce roi des rois. Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais « s’en est fini des mauvais jours » et déjà, je me tenais prêt, dans l’attente d’aumônes spontanées et de richesses éparpillées dans la poussière.
Ton char s’arrêta là où je me tenais. Ton regard tomba sur moi et tu descendis avec un sourire. Je sentis que la chance de ma vie était enfin venue. Soudain, alors, tu me tendis la main et me dis : “ Qu’as-tu à me donner ” ? Ah ! Quel jeu royal était-ce là ! Tendre la main au mendiant pour mendier ! J’étais confus et demeurai perplexe et puis, de mon sac, je tirai lentement un petit grain de blé et je te le donnai.
Tu partis, mais combien grande fut ma surprise lorsqu’à la fin du jour, vidant mon sac à terre, je trouvai un petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains ! Je pleurai amèrement alors et je pensai : ‘Que n’ai-je eu le cœur de te donner mon tout’ ».
Cette histoire, frères et sœurs, c’est celle de notre messe. Nous sommes venus ce matin dans cette église parce que nous avons besoin de Dieu, et c’est vrai que nous avons besoin Dieu : besoin de lui pour retrouver la paix du cœur, besoin de lui pour obtenir une grâce, besoin de lui pour retrouver entre nous notre unité, besoin de lui pour nous sortir un peu de nos soucis matériels, pour régler telle situation difficile, pour être réconforté, pour y voir plus clair, pour qu’il me nourrisse de sa parole et de son pain de vie.
Alors je dis, moi aussi : « Qu’as-tu à me donner ? » Nous venons vers lui comme des mendiants, il peut nous enrichir, il peut nous sortir de là, il peut nous offrir la paix, la joie, l’unité. Je tourne vers le Seigneur un regard suppliant… et c’est le Seigneur, qui me dit, au moment de l’Offertoire : « Toi, le mendiant, qu’as-tu à me donner ? Tu es venu pour recevoir : qu’as-tu à offrir ? C’est moi qui te tends la main ! Que vas-tu me donner ? »
« Mais enfin, Seigneur, les rôles sont inversés, ne confondons pas les rôles, ne brouillons pas les cartes ! » Ce pain et ce vin de l’Offertoire, ce sont les hommes qui doivent l’apporter pour qu’ils deviennent ensuite, non plus le petit grain de blé des hommes mais le grain d’or de Dieu, encore faut-il que ce grain ait été extrait du sac de ma vie, offert ; encore faut-il que j’en ai fait le sacrifice pour qu’il devienne le petit grain d’or parmi le tas de pauvres grains. Ainsi en est-il pour l’Eucharistie, ainsi en va-t-il de chacune de nos messes. Je ne peux recevoir transformé que ce que j’ai auparavant offert ; je ne peux m’enrichir que de ce que je me suis auparavant dépouillé. Il y a un retour de Dieu qui suppose un aller de l’homme. « Que suis-je venu apporter ce matin à la messe ? » Si je n’ai rien à apporter, je n’emmènerai rien non plus ! Si j’offre peu, je rapporterai peu.
Si je donne, Dieu donnera mais si je me donne : alors Dieu se donnera tout entier. « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » « le pain que je lui donnerai, c’est ma chair pour que le monde ait la vie ». Je deviens riche de ce que je donne, je m’appauvris de ce que je garde : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu ». On peut dire que Dieu n’a rien, ne possède rien. Il est Dieu, il est trésor, il est riche de ce qu’il donne, de ce qu’il se donne en nourriture aux autres, en breuvage aux siens.
Dieu est dépouillé ; à la Croix il n’a plus rien, on a tiré au sort ses vêtements, il n’a plus qu’un souffle de vie et ce dernier soupir, lui-même, il le remet à son Père : « En tes mains Seigneur, je remets mon esprit ». Il a tout donné, il s’est tout donné. Dieu pauvre, dépouillé de tout, devient le dispensateur de grâces : « De son côté ouvert, il en sortit du sang et de l’eau, l’eau du Baptême, sang du Christ versé pour nous ! » Il faut offrir les grains de blé pour qu’ils deviennent les grains d’or : ceux que je garderai ne resteront jamais que des grains de blé, ceux auxquels j’aurai renoncé seront pris par Dieu pour être transformés.
Ainsi, chaque messe devrait-elle être un don total de toute ma vie à l’Offertoire, afin qu’à la communion, je reçoive, non plus le pain de ma vie, mais le pain de la vie de Dieu qui devient la mienne ! « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Dieu qui vit en moi ». A chaque fois que je donne, il se donne ; à chaque fois que je m’offre, il s’offre en retour. « Alors, je pleurai amèrement et je pensai : « Que n’ai-je eu le cœur de te donner mon tout ». « Peut-être aurai-je la même réaction à la fin de ma vie, ne voyant qu’un seul grain d’or au milieu du tas de blé, je me dirais : « Si j’avais tout donné ! Si j’avais tout offert ! Si ma vie avait été offrande, don de moi-même, quel trésor serait ma vie aujourd’hui ! »
Le Seigneur nous dit autre part dans l’Evangile : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ! » Où est mon cœur ? A quoi aspire-t-il ? Où tend-il ? Que désire-t-il ? A quoi va-t-il battre ? Quel est ton trésor ? Seul ce que nous aurons offert sera sauvé. Qu’offrons-nous à la messe ? Qui sera sauvé ? Quel est la qualité du pain de notre offertoire ? De cette qualité-là dépend aussi la qualité de notre communion. Le Seigneur ne peut transformer que ce que nous lui offrons ! Si nous lui offrons peu, il transformera peu. Si nous lui offrons toute notre vie, il la changera complètement de bout en bout.
Le pain que Dieu nous donne, « il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts. Celui qui mange ce pain, vivra éternellement ». Il vivra éternellement parce que sa vie était en Dieu et que Dieu était en lui. Ainsi donc, « manger », le mot revient huit fois dans sept versets de l’Evangile d’aujourd’hui, manger sa chair et boire son sang, c’est recevoir sa vie qu’il reçoit lui-même du Père, c’est communier à son mystère de mort et de résurrection, c’est accepter de devenir à son tour, par lui, avec lui et en lui, « pain rompu pour un monde nouveau ».
Nous pouvons nous poser cette autre question : en quoi consiste la vie éternelle inaugurée dès maintenant par Jésus dans le quotidien de notre existence ? C’est avant tout une relation intense, profonde, invisible, avec Jésus Fils de Dieu : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. » Demeurer, c’est un verbe qui dit tant de choses à la fois qu’il faudrait, pour en épuiser la richesse, toute une litanie, la litanie de la réciprocité :
Jésus vit en moi, et je vis en lui.
Jésus attend mon amitié, et je m’appuie sur la sienne.
Jésus compte sur moi, et je compte sur lui.
Jésus parle en moi, et je lui parle.
Jésus trouve sa joie en moi, et ma joie est en lui.
Jésus prie en moi, et je prie en lui.
Jésus m’aime, et j’essaie de l’aimer.
Demeurer dans le Christ, c’est aussi trouver chaque jour en lui la lumière, la paix et le pardon ; c’est puiser à sa vie la force de vivre, même quand l’épreuve est là, dont on ne voit pas la fin ; c’est essayer de voir les choses, les événements et chaque personne comme lui les voit, et repartir chaque matin sur un chemin d’espérance. Demeurer dans le Christ, c’est lui apporter, dans la prière, tout ce qui enthousiasme ou appesantit notre cœur ; c’est laisser résonner sa parole au plus profond de notre liberté, et nous imprégner de ses réflexes de miséricorde. Chacun retrouve à la messe ce qu’il a offert, ce qu’il a aimé, ce qu’il a assez aimé pour l’offrir, et, en le confiant à Dieu, l’éterniser. Merci Seigneur ! AMEN
Abbé Willy Mirindi
Homélie pour le 20ème dimanche ordinaire
18 août 2024