Une « autre » liberté.
Les élections sont passées. Nous vivons encore dans une démocratie, heureux de bénéficier d’une réelle liberté religieuse. Et en Belgique cette liberté de pratique et de culte est non seulement reconnue mais la pratique du culte est financée par l’impôt prélevé sur tous. Pour nous croyants, à quoi sert cet espace de liberté civile si nous ne l’investissons de cette autre liberté que Paul appelle la Liberté des Enfants de Dieu.
Mais de quoi parlons nous ?
De quelle liberté dispose-t-on si, au sein même de la religion, dès la Genèse on nous impose des interdits sous peine d’exclusion ?
Puis dans l’Exode ce sont dix commandements. Et ainsi de suite tout au long des écritures .
Quelle est cette liberté qui, dès notre origine, nous enferme dans le péché et va jusqu’à nous fournir un ensemble de lois à respecter, un catalogue de péchés et d’interdits, sous peine de jugement ?
Et si, à nouveau, notre regard n’était pas orienté dans la bonne direction ? Et si à travers les siècles nous n’avions pas rigidifiés, calcifié les appels de l’Amour de Dieu, au point d’en faire une caricature totalement contraire à l’original ?
Paul, homme de la Loi, ayant rencontré Jésus face à face sur le chemin de Damas, a brutalement compris ce dilemme entre loi et liberté. “Saul, pourquoi … ?” . Il se rend compte que son amour de Dieu se traduisait en une application mortifère de la Loi.
C’est de là que naissent ses tentatives, tout au long de ses lettres, de nous dégager de ce dilemme en nous poussant à mettre nos pas dans ceux du Christ en qui ces deux pôles sont réconciliés.
C’est aussi de façon simple et humble ce que le pape François nous dit dans une homélie du 9 juin 2024.
Jésus, c’est précisément l’Esprit qui l’a rendu divinement libre, c’est-à-dire capable d’aimer et de servir sans mesure ni conditionnement. Jésus libre. Arrêtons-nous un instant pour contempler cette liberté de Jésus.
Jésus était libre face à la richesse : il a donc quitté la sécurité de son village, Nazareth, pour embrasser une vie de pauvreté et d’incertitude (cf. Mt 6, 25-34), soignant gratuitement les malades et tous ceux qui venaient lui demander de l’aide, sans jamais rien demander en retour (cf. Mt 10, 8). La gratuité du ministère de Jésus, c’est cela. C’est aussi la gratuité de tout ministère.
Il était libre face au pouvoir : en effet, tout en appelant beaucoup de gens à le suivre, il n’a jamais forcé personne à le faire, ni recherché le soutien des puissants, mais s’est toujours placé du côté des plus petits, enseignant à ses disciples de faire de même, comme il l’avait fait (cf. Lc 22,25-27).
Enfin, Jésus était libre de la recherche de la gloire et de l’approbation, et c’est pourquoi il n’a jamais renoncé à dire la vérité, même au prix de ne pas être compris (cf. Mc 3,21), de devenir impopulaire, jusqu’à mourir sur la croix, ne se laissant ni intimider, ni acheter, ni corrompre par quoi que ce soit ou par qui que ce soit (cf. Mt 10,28).
Jésus était un homme libre.
Libre face à la richesse, libre face au pouvoir, libre face à la poursuite de la gloire.
Et cela est également important pour nous. En effet, si nous nous laissons conditionner par la recherche du plaisir, du pouvoir, de l’argent ou de la gloire, nous devenons esclaves de ces choses.
Si, en revanche, nous laissons l’Amour Libre de Dieu remplir et dilater notre cœur, et si nous le laissons déborder spontanément en le redonnant aux autres, avec tout notre être, sans peur, sans calcul et sans conditionnement, alors nous grandissons dans la liberté et nous répandons son bon parfum autour de nous.
Nous pouvons alors nous demander : suis-je une personne libre ? Ou bien est-ce que je me laisse emprisonner par les mythes de l’argent, du pouvoir et du succès, en leur sacrifiant la sérénité et la paix de moi-même et des autres ? Est-ce que je diffuse, dans les milieux où je vis et travaille, l’air frais de la liberté, de la sincérité, de la spontanéité ?
Finalement, suivant ces paroles du Pape, nous pouvons dire que notre Liberté d’Enfants de Dieu puise sa source dans l’Amour Libre de Dieu, incarné en son Fils. C’est en buvant à cette source d’Eau Vive que tant de croyants, de chercheurs de vérité, de penseurs et parmi eux de nombreux saints, ont trouvé cette Liberté qui libère – et ce même des formules religieuses et des représentations idolâtres de Dieu – pour enfin ne plus vivre que de l’Amour lumineux, de la Lumière amoureuse. Alors, abreuvés à cette source, et débordants ces mêmes liens, qu’ils avaient rejeté comme des entraves, ils se les sont réappropriés comme autant de lieux de manifestation de l’Amour du vrai Dieu.
Comme à la Samaritaine au puits de Jacob, à chacun de nous, Jésus ne nous dit-il pas :
«Celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. (…)
Crois-moi : l’heure vient (…) – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils (se) doivent (de) l’adorer. »
Jean 4
Et comme nous le laisse entendre le pape François, c’est précisément l’Esprit, dans le Christ, qui nous rend divinement libre, c’est-à-dire capable d’aimer et de servir sans mesure ni conditionnement.
Et de cette façon nous pouvons emplir avec la Liberté des Enfants de Dieu, l’espace de liberté civile dont nous avons la chance de bénéficier dans notre démocratie. Ainsi notre “liberté religieuse” ne sera plus un simple privilège financé par l’impôt de tous mais un espace où nous ferons jaillir cette eau du don de Dieu et celui qui y boira n’aura plus jamais soif.
Mais pour cela nous devons nous mêmes prendre le risque de cette autre Liberté, celle des Enfants de Dieu.