Surnaturel ou Pastoral ?
Le Dicastère pour la doctrine de la Foi vient de publier un document intitulé :
« NORMES PROCÉDURALES
POUR LE DISCERNEMENT DE
PHÉNOMÈNES SURNATURELS PRÉSUMÉS »
C’est volontairement que le pape François a demandé à ce que ce document soit publié à la Pentecôte. Ce document, à l’étude depuis de nombreuses années a été profondément influencé, en finale, par l’approche spirituelle de François : humilité et pastorale.
De quoi s’agit-il ?
Lourdes, Banneux, Beauraing, Fatima, Medugorje … pour ne parler que de quelques « apparitions de la Vierge » parmi tant d’autres « manifestations surnaturelles ». Ne vous êtes-vous jamais posé la question : « Faut-il y croire ? ». Moi bien. Et si intuitivement nous savons que la réponse est « Non, il n’y a aucune obligation. », il nous reste le doute : « Est-ce une manifestation surnaturelle ? ». Car si c’est oui alors …
C’est de cela que traite ce document fraichement publié. C’est donc avec un certain intérêt, que je l’ai parcouru et voici ce que j’en retiens.
Notre réflexe a, jusqu’à maintenant, été de nous tourner vers le magistère de l’église et de demander « Alors quoi ? Dites-nous que faire ! ».
Et la réponse ne venait, la plupart du temps, qu’après un très, trop, long silence laissant le temps et la possibilité à des dérives de s’installer. Il fallait alors les combattre tout en blessant une partie des croyants. C’était un grand dommage pour la pastorale.
Jusqu’à présent l’église tentait d’abord de dire dans son discernement si oui ou non il s’agissait d’une manifestation surnaturelle et si, en conséquence de sa supranaturalité ou non, cultes et dévotions étaient interdits ou favorisés. C’est par la voix privilégiée de l’évêque local et seulement par elle que cette question se réglait. La charge de la gestion de ces phénomènes reposait sur ses seules épaules.
Bien sûr, souvent il consultait le dicastère pour la doctrine de la Foi qui ne se privait pas de lui donner son avis tout en lui intimant de ne pas y faire référence. Seul son dire d’évêque local devait apparaître et souvent il était édicté que très, trop, tard. Situation peu claire, fortement « cléricale », laissant le croyant à la merci d’incertitudes et de tensions malvenues au niveau pastoral.
Le document publié en cette Pentecôte 2024 non seulement clarifie, modernise et accélère enfin les procédures à suivre mais, particulièrement dans son préambule, manifeste un changement profond dans la manière dont l’église se doit d’aborder ces phénomènes.
Humilité et Pastorale
Si la réflexion qui a abouti dans ce document est née bien avant le pontificat du pape François, celui-ci a cependant fortement impacté sa version finale.
Ainsi il est clair qu’il ne s’agit plus aujourd’hui, pour quiconque dans l’église, de s’arroger le pouvoir de décider de la supranaturalité d’un phénomène. La pertinence de cette détermination cède dorénavant le pas au devoir pastoral de l’église envers les croyants qui lui font confiance.
Ceci implique que c’est bien la protection des fidèles contre les phénomènes névrotiques, les arnaques et les escroqueries qui est première. On pourrait dire que le premier devoir pastoral face à ces phénomènes est de discerner s’ils sont sains ou malsains.
Dans le même temps il est tout aussi important de discerner si les messages explicites ou implicites de ces phénomènes confirment, explicitent, illustrent le message évangélique et sont propices à un approfondissement de la Foi ou au contraire détournent les croyants du message des évangiles.
Pour ce faire, quittant une vision en noir et blanc, surnaturel vs naturel, le document du dicastère prévoit 6 degrés de reconnaissance entre lesquels il y a possibilité d’évoluer dans un sens ou dans l’autre au gré des circonstances. (voir ci-contre). L’humain n’étant pas absolu, ce qui est sain aujourd’hui peut se pervertir et devenir malsain et ce qui est malsain aujourd’hui peut être assaini.
Surnaturel ?
Mais revenons à la supranaturalité d’un phénomène. Elle n’est plus à l’ordre du jour. La valeur d’un phénomène ne tient plus au fait qu’il soit « naturel » ou « surnaturel » mais au fait qu’il est ouvert à l’Esprit-Saint et productif d’un enrichissement spirituel et pastoral.
Le phénomène lui-même n’est plus central mais la préoccupation première de l’église se centre sur la croissance de la foi du croyant que le phénomène discerné enrichi.
De la même manière que, parmi les « miracles » accomplis par Jésus au cours de sa vie, ne sont relatés dans les récits évangéliques, que ceux qui sont pastoraux et porteur de son message. (voir la citation de l’évangile de Jean ci-dessous).
En suivant l’esprit de ce document, il nous est donc possible dorénavant de sortir d’un dilemme où nous place notre tendance naturelle à la superstition qui nous fait craindre le surnaturel et déprécier le naturel. Cette nouvelle approche nous amène à changer l’orientation de nos regards, à ne plus nous focaliser sur le signe lui-même mais sur ce qu’il manifeste.
C’est là le rôle pastoral de l’institution ecclésiale qu’implique ce document du dicastère : accompagner le croyant, marcher avec lui sur nos chemins d’Emmaüs en lisant avec chacun en particulier les signes qui lui sont donnés et ce dans une confiance accrue dans les œuvres de l’Esprit.
Un vieux proverbe ne dit-il pas « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ».
Ainsi l’église est appelée par ce document à nous rendre intelligents – « Qui a la faculté de connaître et de comprendre. » d’après le Petit Robert – dans la Foi plutôt que dans les formes, et à nous faire entendre la splendeur de l’Esprit vivifiant portant l’appel du Christ. Ce document, sous des aspects parfois procéduraux, est une invitation à vivre dans l’émerveillement et le discernement de cet appel de l’Esprit que nous transmettent tous ces messagers, naturels ou surnaturels.
Voila sans doute pourquoi le pape François a insisté pour que ce document soit publié à la Pentecôte, à la fois fête de l’institution de la Loi et célébration de l’effusion de l’Esprit.
« Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » Jean 20 :30-31
« À l’écoute de l’Esprit
à l’œuvre dans
le fidèle peuple de Dieu »
Les six votes finaux possibles
à l’issue du discernement
(extraits du texte du document du dicastère)
Nihil Obstat: aucune certitude n’est exprimée sur l’authenticité surnaturelle, mais des signes d’une action de l’Esprit sont reconnus. L’évêque est encouragé à évaluer la valeur pastorale et à promouvoir la diffusion du phénomène, y compris les pèlerinages.
Prae oculis habeatur: des signes positifs sont reconnus, mais il y a aussi des éléments de confusion ou des risques qui nécessitent un discernement et un dialogue avec les destinataires. Une clarification doctrinale peut être nécessaire si des écrits ou des messages sont associés au phénomène.
Curatur: les éléments critiques sont présents, mais il y a une large diffusion du phénomène avec des fruits spirituels vérifiables. Une interdiction qui pourrait déranger les fidèles est découragée, mais il est demandé à l’évêque de ne pas encourager le phénomène.
Sub mandato: les questions critiques ne sont pas liées au phénomène lui-même, mais à l’utilisation abusive qui en est faite par des individus ou des groupes. Le Saint-Siège confie à l’évêque ou à un délégué la direction pastorale du lieu.
Prohibetur et obstruatur: malgré quelques éléments positifs, les criticités et les risques sont sérieux. Le dicastère demande à l’évêque de déclarer publiquement que l’adhésion n’est pas permise et d’expliquer les raisons de cette décision.
Declaratio de non supernaturalitate Dans ce cas, l’Évêque diocésain est autorisé par le Dicastère à déclarer que le phénomène est reconnu comme non surnaturel. Cette décision doit être fondée sur des faits et des preuves concrètes et avérées.