Nicolas de Myre
Dans trois semaines nous fêterons Saint Nicolas. Aujourd’hui il est encore une histoire pour les enfants et surtout un gadget de marketing commercial de fin d’année. Pourtant Saint Nicolas a vraiment existé, connu une très opportune vénération internationale et donné naissance à la légende que nous connaissons et qui ne manque pas d’intérêt. Je vous emmène en trois articles successifs à la découverte de ces trois faces de Saint Nicolas. Penchons-nous aujourd’hui sur la vie de Nicolas.
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LA VIE DE NICOLAS DE MYRE
Les jeunes années
Nicolas nait vers 255 après JC dans les environs de Patare, port au nord de celui de Myre dont il dépend, sur la presqu’île de Lycie. Aujourd’hui ce n’est plus qu’un marais du nom de Patara dans la province d’Antalya en Turquie. Il reçoit une éducation très poussée. Ses parents, de riches propriétaires terriens, sont soit déjà chrétiens soit très proches des chrétiens. À cette époque, perçue comme religion moderne et de libération de l’humanité, le christianisme se diffusait surtout par la voie des femmes, des pauvres et des intellectuels. Nicolas, lui, est sans aucun doute chrétien dès son jeune âge.
Le chiffre 3
Suivant en cela la proposition du Père Cioffari (voir ci contre), nous retiendrons un trait de l’hagiographie de Nicolas : chez lui tout va par 3. C’est comme un clin d’œil en signature.
Les trois dots
Un voisin du jeune Nicolas, père de trois jeunes femmes et ayant connu des revers de fortune, se trouve dans l’incapacité de les doter. A l’époque et dans cette région il n’y avait que deux destins pour les jeunes femmes, le mariage ou la prostitution. Pour le mariage, une dot était indispensable. Quant à la prostitution, elle était de deux types, celle que nous connaissons encore de nos jours et la prostitution «sacrée» organisée dans les temples et qui contribuait aux initiations à différents «mystères». Ce dernier type était considéré comme plus noble que le premier.
Nicolas ne peut supporter l’idée et fait parvenir anonymement au père une bourse pour doter son ainée. Il agira de même pour ses deux sœurs et ne sera démasqué par le père que lors de la remise de la dernière. Dans cette action se manifeste ce souci des chrétiens de l’époque, si pas de libérer la femme au sens moderne du terme, au moins de la respecter dans sa dignité. La dignité est une valeur fondamentale chez Nicolas. Suite à ce sauvetage, Nicolas a souvent été représenté avec trois boules d’or représentant les dots et fut, un temps, considéré comme le saint patron des jeunes filles.
Evêque de Myre
Vers 295 Nicolas s’installe à Myre et s’implique activement dans la vie de la communauté chrétienne et dans celle de la cité où il devient vite connu pour son éducation et ses capacités de gestionnaire. Était-il, célibataire, marié, veuf ? La seule chose certaine est qu’il n’est jamais fait mention ni d’une compagne ni d’enfants. Au décès de l’évêque de Myre en 300, bien qu’il ne soit pas prêtre, c’est lui qui est élu par la communauté chrétienne à la charge épiscopale. Il sera formé à la prêtrise pour pouvoir assumer cette charge par laquelle il se consacrera à sa communauté et au bien de la ville de Myre pendant 33 ans, et ce malgré les embuches et les périodes de persécutions plus ou moins actives.
Les vaisseaux de grain
Vers 312, des épisodes successifs de pluies torrentielles ravagent la Lycie et ses cultures. La maladie et la famine s’installent rapidement et, comme tous les marchands, par terre ou par mer, évitent cette région de peur de se voir spolier de leurs marchandises, les perspectives s’avèrent désastreuses. Soudain trois bateaux chargés de grain accostent au port de Myre. Ont-ils subi des avaries, sont-ils ignorants de la situation, se sont-ils égarés ? La population se rue au port et assaille les bateaux où on ne donne pas cher de la vie des équipages. Nicolas s’interpose, monte à bord et y reste de longues heures pendant que la foule grogne. Quand Nicolas réapparait, le capitaine ordonne qu’on décharge les bateaux sur les quais et remet les voiles au plus vite sans demander son reste. À leur arrivée à destination, les vaisseaux débordent de grain au point que leur navigation est périlleuse. Nicolas a-t-il négocié le rachat de la cargaison contre un sauf conduit et un bon prix payé avec les biens hérités de sa famille, ou est-ce, comme le veut l’hagiographie, un miracle ?
Au Concile de Nicée
Constantin est au pouvoir, les persécutions ont cessé et le christianisme est devenu religion d’état. Pendant ce temps un diacre nommé Arius répand à travers les communautés chrétiennes une théologie, l’arianisme, qui les divise profondément. Pour mettre fin à ces querelles Constantin convoque, en 324, tous les évêques, la papauté n’a pas encore été inventée, à un concile à Nicée. Nicolas s’y rend mais ne pourra y assister. Dès la séance d’ouverture, Arius fait, avec l’arrogance du diacre faisant la leçon aux évêques, l’exposé de ses théories. Nicolas, qui attribue de l’importance à la dignité et au respect, s’emporte et gifle publiquement le faquin. Scandale, cris, on en appel à l’empereur qui fait mettre Nicolas en prison et lui ôte ses insignes épiscopaux. Il le libérera une fois le concile terminé et lui rendra ses insignes. Cet épisode est révélateur et de la personnalité de Nicolas et de l’emprise que l’empereur Constantin, qui n’est même pas baptisé, a déjà prise sur les églises chrétiennes. C’est la rançon de la reconnaissance du christianisme comme religion d’état.
Trois jeunes hommes
Un jour, entre 326 et 330, suite à une altercation entre soldats et commerçants, Myre est secouée par une émeute généralisée. Trois jeunes hommes sont dénoncés au gouverneur comme étant les initiateurs de ces troubles qui ont déjà causé plusieurs blessés. Le magistrat, peu scrupuleux, pour rétablir l’ordre, les condamne à être exécutés sur le champ. Contrairement à une loi édictée par Constantin, il ne leur donne pas la possibilité de faire appel à leur évêque. La population inquiète cherche Nicolas qui n’est pas en ville ce jour-là. Averti et, connaissant les condamnés, l’évêque les sait innocents. Il rentre au plus vite à Myre et parvient, in extremis, à arrêter leur exécution alors que le bourreau a déjà levé son sabre. Lors du procès en appel, les trois jeunes hommes, défendus par leur évêque, seront acquittés.
Une réduction d’impôts
En 332, Constantin, empereur dispendieux, décide d’augmenter brutalement les impôts pour financer ses dépenses. Myre, ville réputée riche et prospère, se voit imposer plus que sa part et c’est la population la moins aisée qui en souffre le plus. Nicolas tente de plaider la cause de la ville et devant son insuccès se rend lui-même à Constantinople. Là il s’impose auprès de l’empereur et, plaideur de talent, obtient une réduction de la charge fiscale. Cependant, connaissant la rouerie de cet empereur qui l’avait fait emprisonner lors du concile, retourne le voir le lendemain pour exiger un édit écrit attestant de la décision de la veille. L’empereur, loin de lui en vouloir, s’exécute de bonne grâce et développe de l’estime pour ce défenseur de sa ville et des plus faibles. Cette estime va très vite servir Nicolas.
Trois officiers
Alors que Nicolas est à peine en route vers Constantinople pour sa plaidoirie fiscale, un complot se met en place pour éliminer Népotien, officier romain en poste à Myre, vaillant militaire d’une intégrité remarquable et ami de Nicolas. Tout pour déplaire à l’administration en place. Népotien est arrêté avec deux de ses officiers (ça fait 3!), enfermé dans une tour, et accusé de corruption, sorcellerie, trahison etc. Jugé, condamné à mort de façon expéditive, il fait appel à l’empereur à qui on dépêche en urgence une délégation avec mission de charger au maximum les prévenus. Constantin, furieux de l’apparente trahison de cet officier, confirme la sentence : les prisonniers seront exécutés à l’aube du lendemain du retour de la délégation qui repart aussitôt. Nicolas, occupé a sa démarche fiscale, est informé de la chose, s’impose à nouveau chez l’empereur et le persuade de convoquer un nouveau procès sous présidence impériale. Constantin accepte et Nicolas s’engage dans une course débridée pour rattraper et dépasser la délégation qui a une bonne longueur d’avance. Il y parvient, plaidera au procès de son ami et de ses compagnons et les fera innocenter.
Le temple d’Artémis-Diane
L’année suivante, en 333, Nicolas presque octogénaire, n’a rien perdu de sa pugnacité. Constantin a proclamé le christianisme comme religion d’état sans condamner les autres religions; mais devant les levées de boucliers et les rébellions des pratiquants de ces anciennes religions, il prend des mesures coercitives dont l’interdiction de la magie et des auspices. Cela ne calme rien, bien au contraire. A Myre les tenants du culte d’Artémis ont relevé la tête, remis en service le temple de cette déesse, un des plus beaux bâtiments de la ville, et relancé son culte. Ce culte, basé sur la magie et les mystères, faisant appel à la prostitution sacrée, a tout pour attirer des foules toujours fidèles aux anciens dieux; mais aussi tout pour s’attirer les foudres de l’évêque. Nicolas ne s’était jamais montré intolérant à d’autres pratiques religieuses; mais là, on touche à quelque chose qui lui va loin, la prostitution basée en plus sur sur un esprit de fronde à l’empereur. A la tête d’un grand groupe de ses fidèles, il se dirige vers le temple et le détruit complétement, jusqu’aux fondations.
Mort et survie
A la fin de cette année 333 ou au début de 334, Nicolas s’éteint. Nicolas, évêque de Myre a achevé son parcours sur terre. Nous n’avons relaté brièvement ici que quelques-uns des évènements de la vie de cet homme du début du quatrième siècle, en laissant de côté le merveilleux des songes, apparitions, guérisons ou bilocations qui sont souvent rapportés en liaison avec eux. Ces «miracles» ne pouvaient qu’occulter dans un premier temps la personnalité de Nicolas de Myre. Retenons de lui, un croyant convaincu au service de son prochain quel qu’il soit, intègre et entier ; un évêque érudit, dévoué, pugnace et vigoureux – peut-être même un brin colérique; protecteur de la cité, peu avare de sa personne, et parlant d’égal avec les petits et les grands de son époque. Maintenant va se développer l’étrange destin du Vénérable Nicolas, thaumaturge dont le culte, porté par un alignement des astres de la politique et de l’ecclésiologie, va se propager et fleurir jusqu’aux confins des pays germaniques.
Ce sera l’objet de l’article suivant.
Quelle vérité ?
Établir la vérité de la vie d’un évêque ayant vécu il y a seize siècles et devenu une véritable légende religieuse est une affaire très complexe. A si grande distance dans le temps, la biographie et la légende s’entremêlent pour créer un récit merveilleux. Nicolas de Myre, contrairement à nombre de ses confrères de l’époque, n’a laissé aucun écrit. La tâche est aussi rendue complexe car au cours du temps on n’hésitait pas à emprunter à d’autres saints des traits et des hauts-faits pour enrichir le saint auquel on tenait. En plus il y a confusion et amalgame de plusieurs saints du même nom. Dès lors pour le récit de la vie de Nicolas, je me base sur les travaux du Père Gerardo Cioffari, directeur du Centre Studi Nicolaiani, qui a passé sa vie à étudier la vie, le personnage et les légendes de Nicolas de Myre et à en démêler le factuel de l’hagiographie. Il a effectué ce travail en traitant avec le même respect la vie de l’homme et et le culte du saint, Un très beau livre, paru chez Gerard Klopp et malheureusement épuisé, résume ces travaux.
« La grande persécution »
un peu d’histoire :
Dioclétien (284-305), excité par Galère son gendre, épure l’armée dont il expulse les chrétiens. En 303 et 304, il publie quatre édits :
1) il interdit aux chrétiens de s’assembler, ordonne de détruire leurs églises, de brûler leurs livres, et les condamne à la dégradation civique s’ils n’abjurent pas.
2) ordonne l’emprisonnement du clergé.
3) exige l’apostasie du clergé sous peine de mort.
4) punit de la même peine tous les chrétiens qui refusent de sacrifier aux dieux.
Cette persécution, la plus violente de toutes, dura près de dix ans dans certaines parties de l’Empire. Seules la Gaule et la Grande-Bretagne, où régnait Constance Chlore, père de Constantin, furent épargnées.
Dioclétien abdique en 305. Ses successeurs prolongent la persécution jusqu’en 311.
A cette date, un édit de tolérance de Galère mourant est promulgué par Licinius en Orient et Constantin dans les Gaules. Maximin Daïa en Illyrie et Maxence en Italie continuent à persécuter les chrétiens. Menacé par Maxence, Constantin se porte à sa rencontre à la tête de son armée en 312. Il a alors une vision de la croix comme signe de victoire. Après la bataille décisive du pont Milvius, Constantin entre dans Rome où il remercie Dieu de sa victoire. Maximin Daïa meurt l’année suivante. Il n’y a plus que deux empereurs : Constantin en Occident et Licinius en Orient. Après une entrevue ils publièrent en 313, l’édit de Milan qui accordait à l’Église la liberté du culte, le droit de posséder, et prescrivait de lui restituer ses biens confisqués. Cependant Licinius recommence la persécution dans ses États. En 324 il meurt et Constantin reste seul maître de tout l’Empire. Il est certain que Nicolas effectua plusieurs séjours derrière les barreaux. Dans le contexte de ces persécutions, l’élection de Nicolas, à la personnalité solide, éduqué et de bonne famille, se comprend aisément.
A quoi ressemble le monde chrétien à cette époque ?
En tant que « catholiques du XXIème siècle» nous avons difficile à imaginer le monde chrétien du début du quatrième siècle. Il n’y a pas d’unité théologique, pas de papauté, même pas de métropolites comme les connaissent nos frères « orthodoxes ». Chaque évêque est élu par sa communauté et ensuite reconnu par un nombre plus ou moins grand d’autres évêques. C’est ainsi qu’il assied sa légitimité. Les disputes entre évêchés sont fréquentes. Les théories théologiques les plus diverses circulent et se confrontent. Bien qu’on ne parle pas encore d’hérésies dans le sens actuel, certaines théologies sont majoritairement condamnées et d’autres servent de base à des luttes de pouvoir. Une des plus spectaculaires disputes est celle du diacre Arius, l’arianisme, qui sera condamnée au concile de Nicée. La tragédie des “lapsi” divise les esprits chrétiens. Ces lapsi sont des chrétiens, laïcs, prêtres ou même évêques qui ont renié sous les persécutions et qui, la paix retrouvée, se repentent, reviennent et même exigent de reprendre leur place. Comment faut-il les traiter ? Pardon ou pas ? Réintégration ou pas? Cette question provoquera le premier schisme de l’histoire de la chrétienté connu sous le nom de schisme de Novatien.
Et Nicolas dans tout ça ? Nicolas s’oppose à l’arianisme, et même de façon violente au concile de Nicée. Il est cependant plein de miséricorde pour les lapsi. Nicolas est avant tout un homme d’action attaché au bien des siens et à la défense des pauvres et de plus faibles.
L’arianisme quésaquo ?
Si vous voulez savoir ce qu’est l’arianisme, je vais essayer de faire simple. Attachez vos ceintures !
A l’époque la théologie majoritaire était l’«Homoiousisme» qui prône la «consubstantialité du Père avec le Fils» en fait c’est ce que nous proclamons dans le credo dit «symbole de Nicée», ou grand credo parce qu’il est plus long que le «symbole des apôtres».
Arius lui affirme que «Jésus-Christ est le Fils de Dieu qui a été engendré par Dieu le Père à un moment donné, une créature distincte du Père et qui lui est donc subordonnée, mais le Fils est aussi Dieu ».
Je vous avais dit qu’il fallait s’accrocher ! Et dire que certains pensent encore à cette époque comme au « paradis perdu de l’église primitive » !
Lui et moi …
Que je m’en souvienne, ayant vécu beaucoup à l’étranger grâce à mes parents diplomates, je n’ai jamais vraiment fêté le “Saint Nicolas”. Lorsque je l’ai fait, ce n’était qu’une tradition massepain-spéculoos-mandarine au petit déjeuner chez mes grands-parents. Nicolas est entré dans ma vie bien après mes 45 ans, à la fin du XXème siècle. Ma mère me confia alors la garde d’une icône de «Nicolas de Myre» ramenée de Russie où elle avait été en poste avec mon père dans l’immédiat après-guerre, sous Staline. Je lui demandai «Qui est-il par rapport à Saint Nicolas ?». «C’est le même» me répondit-elle déçue de mon peu d’intérêt et de mon inculture. Elle me spécifia aussi «Jamais on ne vend ni ne donne une icône, on en confie la garde». Elle ajouta «Il est aussi appelé « le thaumaturge»». Mon cas étant déjà désespéré, je lui avouai ne pas savoir ce que cela voulait dire. «Faiseur de miracles» me répondit-elle. Je la soupçonne de s’être gentiment retenue d’ajouter «Idiot». Là j’ai vraiment compris que Nicolas m’accompagnait discrètement depuis longtemps. Travaillant sur la Grand’Place de Bruxelles j’allais souvent passer quelques instants «zen» dans le calme d’une église située, rue au Beurre, à 50 mètres du bureau, l’église Saint Nicolas. Je n’y avais jamais prêté attention. Plus fort, je remarquai soudain qu’au haut du pignon de la maison de la Grand’Place, le Renard, où, au cours des années, j’avais travaillé à quasiment tous les étages, trônait un personnage. Eh Oui ! Saint Nicolas ! Discrètement présent dans ma vie jusqu’alors, il venait de faire son « coming out ». Intrigué, je commençai une longue et progressive découverte dont je vous partage ici certaines conclusions. Le reste est plus personnel, entre lui et moi, c’est donc une autre histoire …