Pierre rejetée, pierre réhabilitée
L’Evangile de ce dimanche nous parle une fois de plus de ce qu’est le Royaume de Dieu, que nous sommes appelés à construire. Dans un monde qui a l’habitude de prendre, de consommer, de jeter, de mettre à l’écart ou d’ignorer, la parabole nous invite à réfléchir à une logique différente : recevoir pour rendre et rendre plus que ce que l’on a reçu ; transformer ce qui paraît perdu ; redonner la vie à ce qui est rejeté. Aujourd’hui plus que jamais, laissons-nous nous interroger par cette logique inhabituelle dans nos sociétés.
Jean SADOUNI
Pierre rejetée, pierre réhabilitée
Dans ce texte, il est question de deux actions diamétralement opposées : le geste de rejeter et le geste de réhabiliter. Le rejet, d’abord. Il est présent au centre de la parabole. Lisons. Nous avons, sous les yeux, un spectacle violent. Les serviteurs du propriétaire d’une vigne, venus chercher les fruits qui auraient dû être récoltés, sont agressés. Les ouvriers de la vigne s’en saisissent, leur jettent des pierres, les tuent et les jettent eux-mêmes hors de la vigne. Ils font de même avec le fils du maître de maison : « Celui-là, c’est l’héritier, tuons-le et nous prendrons son héritage. »
Et ils le jettent aussi hors de la vigne et ils le tuent. Ces ouvriers pratiquent la loi du rejet et de la mort. Et il ne reste plus au propriétaire de la vigne qu’à faire de même :
« Il fera périr méchamment les méchants » dit le texte. C’est un processus de rejet et de mort parce que l’essentiel, ici, est de prendre. Tuer pour exclure et exclure pour prendre.
Cependant, au début de la parabole, tout était en place pour la vie. Revenons plus haut dans le texte. C’est l’histoire d’un bâtisseur. Il plante une vigne, il creuse une cave, il construit une tour et, pour protéger l’ensemble, il place, tout autour, une clôture. Et puis il donne tout ce domaine à des agriculteurs à charge pour eux de produire des fruits : il s’agit que la vigne produise le plus de fruits possible. Tout était en place pour une bonne récolte dont chacun aurait eu sa part.
Observons bien qu’ici, il n’était nullement question de prendre. Il suffisait de recevoir et de rendre. Rendre et non pas prendre. Rendre des fruits nouveaux. Rendre des fruits en supplément. Rendre plus que ce qu’on a reçu. Faire vivre et non pas tuer. Faire vivre pour pouvoir rendre.
Cette opposition établie dans la parabole entre ce qui aurait dû se passer et ce qui s’est passé sert à apprendre quelque chose du Royaume de Dieu. Le Royaume advient dans la production. Jamais dans la possession. Et la production, elle est de l’ordre de l’échange. Quelqu’un donne, quelqu’un reçoit et rend plus que ce qu’il a reçu : des fruits en abondance. Le Royaume, c’est de la nouveauté qui se crée. Mais, nous enseigne le texte, le Royaume ne va pas de soi. Le quotidien des êtres humains est fait de toutes sortes de rejets et de morts.
Il y a, en effet, bien des façons de se conduire en meurtrier : par la parole, par le mépris, par la moquerie, par exemple. Comme il y a bien des façons de voler autrui : en le mettant hors circuit ou en lui jetant la pierre, par exemple. C’est bien ce qui est symbolisé par cet héritier, dans la parabole, tué à coups de pierres et lui-même pierre rejetée de la propriété vinicole.
Mais si nous nous arrêtions ici, nous pourrions considérer que cette parabole est totalement démoralisante. Elle enseignerait combien nous sommes loin du Royaume.
Or la parabole traite de deux actions : rejeter et réhabiliter. La réhabilitation vient au terme de la parabole. Brièvement mais fortement. « La pierre rejetée devient pierre majeure ». La victime de tout rejet reçoit une place de choix. Pas parce qu’il est rejeté. Mais par la grâce et la bonté de Dieu. Les pierres vouées à la mort, Dieu les transforme en pierres de vie. Tout à l’heure, il s’agissait de rendre et non de prendre. Ici, il y a mieux que rendre. Il y a reprendre. Dieu reprend le rejeté et le restaure. Et le réhabilite. Dieu fait cela, dit Jésus, et « c’est merveille à nos yeux ». C’est la loi de Dieu : ce qui est perdu est sauvé. Ce qui est jeté, naît à la vie. Tel est le sens de la parabole de l’héritier rejeté : si éloignés que nous soyons du Royaume parce coupables ou victimes de rejets. Dieu sauvera.
Mais la parabole est aussi une invitation à vivre selon la loi de Dieu. Comment ? Un philosophe français a mis en évidence une activité créatrice particulière. Celle qui consiste à donner une vie nouvelle aux objets que nous jetons. Nous trouvons naturel de jeter ce qui paraît dégradé, vieilli, délabré. Et pourtant, dit-il, c’est bien souvent en réintégrant ce qu’on a tendance à rejeter qu’on fait naître la nouveauté. Ainsi, par exemple, en est-il du moisi qui a donné la pénicilline et qui donne le fromage. Mais aussi de ces œuvres d’art créées avec des bouts de tissus et des déchets de ferraille. Ou de ces papiers mâchés dont on fait des statues.
Au-delà de ces rapports de l’homme aux matières qu’il rejette, existe aussi les rapports entre les hommes faits, souvent, d’exclusion. Exclusion du trop pauvre, du trop vieux, du trop malade, du trop incapable.
L’abbé Pierre et Mère Teresa ont rencontré les pauvres devant les tas d’ordures, les champs de détritus et les monceaux de chiffons. Ils ont réussi à transformer les lieux de l’abandon en un univers de la reprise et de la réinsertion des plus démunis de notre monde. Vie perdue qui se fait vie multipliée. Pierre rejetée devenue pierre d’angle.
Un être humain réhabilite un autre être humain et la vigne porte du fruit. Et c’est le Royaume.
Commentaire de l’Evangile da St Matthieu : 21, 33 – 43 Rédigé par Jean-Paul Laurent sj et extrait du livre :
Lire pour vivre. Soixante-dix lecture de textes évangéliques. André Fossion et Jean-Paul Laurent. Ed. Lumen Vitae