La « Joie du joug »
14ième dimanche dans l’année
La louange de Jésus pour les petits et la « joie du joug ».
« Prenez sur vous mon joug » dit Jésus ; on savait bien à l’époque ce qu’est un joug : une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux, deux bœufs normalement, pour labourer. Ils conjuguent leurs forces et le plus puissant des deux imprime son pas à l’attelage. Au sens figuré, « Prendre le joug » suggère donc que l’on s’attache à quelqu’un pour marcher du même pas, attelés à la même tâche. Si bien que cette expression était devenue courante dans l’Ancien Testament et dans le Judaïsme pour évoquer l’Alliance entre Dieu et son peuple : lorsqu’on promettait de « Prendre le joug de la Torah » cela voulait dire s’engager à suivre la Loi de Dieu, s’atteler à Dieu, en quelque sorte ; étant entendu que toute la force de « l’attelage » ainsi composé vient de Dieu lui-même! Pour un Juif, le service de la Torah n’est donc pas un fardeau trop lourd, c’est le chemin du vrai bonheur ; Ben Sirac le Sage disait : « Tu trouveras en elle (dans la pratique de la Loi) le repos, elle se changera pour toi en joie. » (Si 6,281). On parlait même parfois de la « joie du joug ! »
Visiblement c’est bien de cela que Jésus parle, et il fait lui aussi le lien entre le joug de la Torah et le repos : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples », c’est-à-dire pratiquez mes commandements « et vous trouverez le repos ». Mais on sent bien également dans ces quelques lignes une pointe polémique : « Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Manière de dire : Mon joug à moi est facile à porter, ce n’est pas le cas de tout le monde. D’ailleurs, Jésus ne se prive pas de le dire : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau ».
Effectivement, certains Pharisiens, à force de scrupules, avaient transformé la pratique de la Loi de Dieu en un cortège d’obligations tatillonnes ; c’est à leur propos que Jésus disait aux foules : « Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse : faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les mettent sur les épaules des hommes alors qu’eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. » (Mt 23,2-4). D’autre part, une majorité du peuple avait bien du mal à observer la totalité des commandements que les autorités religieuses leur imposaient et ils sentaient le mépris dont ils étaient l’objet.
Jésus propose donc à ses disciples de déposer ces fardeaux trop lourds : « Prenez sur vous mon joug… et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Son joug à lui, c’est tout simplement la loi d’aimer, et c’est lui qui nous en donne la force. La chose très nouvelle dans ce discours, c’est que Jésus s’identifie à Dieu : lui seul peut se permettre de dire « Moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger. » Alors Jésus s’émerveille : chaque fois que Jésus est mis devant l’évidence de la foi, il manifeste sa joie et sa reconnaissance au Père; l’évangile nous révèle ainsi ce qu’est la véritable prière d’action de grâce : bonheur filial émerveillé devant l’initiative de Dieu se révélant aux hommes. Ce dont Jésus s’émerveille aussi, c’est de l’intimité que lui offre son Père : il contemple la communion inouïe qui les unit : « Tout m’a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. »
Abbé Robert.