Jean Sadouni : l’Eglise, le Pape, et notre Unité
Nous avons voulu faire plus ample connaissance avec notre responsable d’Unité. Voici la deuxième partie de son interview :
Quelques réflexions au niveau pastoral…
La dernière fois tu avais parlé d’un « mouvement de sortie » en ce qui concerne l’Eglise – tu peux développer ?
Oui, bien sûr. Comme je l’ai dit la dernière fois, l’Eglise est en enfantement perpétuel. Et maintenant elle est dans un « mouvement de sortie » comme dit le Pape François. C’est lui qui reprend ce que St Jean écrit à l’ange de l’Eglise à Laodicée dans l’Apocalypse : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe : si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, je viendrai auprès de lui et je souperai avec lui et lui avec moi ». Et le Pape François continue en disant : maintenant c’est le Christ qui est à l’intérieur de l’Eglise et qui frappe à la porte pour sortir. Je pense que là, il y a quelque chose de vrai parce que l’Eglise doit aller toucher tous les baptisés, pas uniquement ceux qui sont à l’intérieur, qui viennent régulièrement, mais ceux que l’on ne voit pas beaucoup, sans oublier les pauvres et les personnes fragilisées, baptisées ou non. La deuxième chose est que l’Eglise est en sortie de par son aspect pastoral. Ces derniers temps, on a pu lire sur notre site des témoignages de vie, d’activités de prière familiales, des initiatives de fraternité avec les enfants de la catéchèse qui ont envoyé des dessins aux maisons de repos, et un merveilleux geste de soutien à l’aumônerie de la clinique Sainte Elizabeth. A ce sujet, l’initiative est venue d’un paroissien de notre Unité. Ça veut dire que l‘Eglise n’est pas que confinée dans ses murs et ses rites mais elle est aussi et surtout le peuple de Dieu. Nous avons aussi initié des groupes de parole et de partage sur base de la parole de Dieu en visio-conférence. Et tout ça je pense, il faut y réfléchir pour l’avenir.
Tu cites beaucoup le Pape François et je sais que tu as suivi ses messes tous les matins pendant le confinement. A ton avis qu’est-ce qu’il apporte de plus ou de différent par rapport à Benoît XVI ou Jean-Paul II ?
Je préfère ne pas le dire en termes de comparaison ; mais plutôt en termes de mon ressenti par rapport à lui. Il apporte une simplicité. Il nous appelle à retourner vers l’Evangile. Quand il parle des pauvres, il parle aussi de l’appauvrissement que nous avons à opérer pour revenir à la source, à l’Evangile de Celui qui s’est fait le plus pauvre. Retrouver une humilité, celle de Dieu lui-même. J’aime sa culture de la proximité et du dialogue pour se rapprocher du peuple de Dieu ! En pastorale c’est capital. J’aime aussi quand il nous dit qu’il ne faut pas chercher à faire du prosélytisme mais il faut se mettre à la suite de Jésus et répandre la Bonne Nouvelle. Jésus marchait continuellement ; allant à la rencontre des pauvres, des malades, des pécheurs. Il rencontrait aussi bien Zachée qui était riche et pas très recommandable, que la Syro-phénicienne qui n’était pas du tout du peuple juif. Il voulait aller vers tout le monde pour leur faire découvrir un Dieu toujours plus grand qui nous libère des règles et des lois et qui nous ouvre à la liberté, celle des enfants de Dieu. Comme Jésus, le pape François s’ouvre en direction de tous les hommes. C’est ça la pastorale ! Enfin, j’aime sa liberté, le pape François est un homme libre qui est cohérent et qui dit ce qu’il vit. Voilà ce que je ressens.
Le cléricalisme – c’est un problème à ton avis ?
Oui – je reprendrai encore une fois les mots du Pape François. Le cléricalisme est dangereux – parce que le cléricalisme, d’après lui, est une attitude, sous la forme de volonté de puissance. Et lorsqu’il y a une volonté de puissance, automatiquement il y a un danger pour les autres. Il a quand-même dit que le cléricalisme était le terreau de tout ce qui s’était passé dans l’Eglise en ce qui concerne les abus sexuels. Le cléricalisme étouffe les vocations baptismales ! Mais le cléricalisme peut aussi être une attitude de certains laïcs. Nous devons faire attention à cette attitude qui ne sert pas l’Eglise.
Pendant ce confinement tu n’as pas désiré favoriser les messes en streaming au niveau de l’Unité. Pourquoi ?
Tout d’abord je dirais que nous avons renseigné à nos paroissiens toutes les possibilités de messes télévisées sur notre site internet. Ensuite je dirais plutôt que j’ai invité l’ensemble de l’équipe pastorale et surtout la cellule communications à ne pas essayer de tout de suite remplir une case qui était vide. Je trouve – et je ne suis pas le seul – que le jeûne eucharistique que nous vivons ne doit pas minimiser l’importance de la célébration Eucharistique, mais il doit nous aider à cultiver le désir de Dieu et à discerner le souffle de l’Esprit qui est toujours à l’œuvre. A vouloir remplacer immédiatement ce qui manque, cela empêche de se laisser interroger sur le sens de ce que l’on vit. Ce que nous vivons tous aujourd’hui est exceptionnel. Par exemple, dans cette crise, nous vivons de façon intuitive ce que l’on peut appeler le « sacrement du frère ». Cette montée d’un altruisme généralisé, d’une empathie les uns envers les autres qui est incroyable. C’est ça aussi qui crée le Corps Vivant du Christ. La Présence aujourd’hui, elle est au sein de ce que nous sommes en train de vivre. Le Christ est présent également dans la Parole qui est partagée et priée, notamment dans les catéchèses familiales qui se sont faites pendant le temps de Pâques. Et il est aussi dans toutes les actions de solidarité qui ont eu lieu dans notre Unité Pastorale. Nous nous sommes donc concentrés sur une communication qui a invité à l’expérience et à l’espérance et ceci grâce à la présence sur notre site internet de textes, de capsules vidéo, de témoignages. Nous essayons de communiquer ce qui se vit, se dit dans notre communauté.
Cela ne pourra que porter ses fruits par la suite, lorsque nous nous retrouverons ensemble à l’Eucharistie qui sera alors « un renouveau » plutôt qu’un « retour » comme avant.
Et qu’est-ce que tu veux dire quand tu parles de ‘communion spirituelle’ ?
La communion spirituelle c’est la communion du cœur. C’est accueillir le Christ dans son cœur tout en étant en même temps en communion avec les autres. D’ailleurs quand on va à l’Eucharistie, n’est-ce pas d’abord une communion du cœur ? J’y vais parce que je suis poussé au plus profond de moi à aller vers le Christ en commune-union avec mes frères et sœurs.
Dans quelle mesure penses-tu que les paroissiens en général et plus particulièrement les familles arrivent à vivre en communion spirituelle actuellement ?
Je ne présume pas de ce que les familles peuvent vivre ou ne pas vivre. Ni s’ils peuvent le vivre. Mais je sais que certaines familles, au lieu de regarder la messe télévisée, ont partagé la parole entre eux. Se donner plus à la prière, à la lecture de la Parole de Dieu, ouvre la porte vers une communion spirituelle bien vivante. Est-ce que chacun le fait en pensant que c’est une communion spirituelle ? Je ne sais pas. Par contre, je pense que nous aurons à relire ensemble l’expérience du jeûne eucharistique, son sens et son approfondissement. Ensuite, je sais que certains se posent des questions, parce qu’ils se sont rendu compte que l’on peut vivre sa spiritualité sans nécessairement aller à la messe. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne vont plus venir aux célébrations dominicales. Mais il sera important d’ouvrir un espace de parole.
Quel effet ce confinement aura eu sur notre Unité Pastorale à ton avis ?
La première des choses que je vois c’est une conduite pastorale par le biais de la communication. On n’a pas cessé d’attirer l’attention sur l’importance des vocations baptismales même si ce n’était pas toujours de manière explicite mais dans l’action. On voit, au travers des témoignages que l’on reçoit, qu’il y a au sein de notre unité pastorale une véritable vie chrétienne qui existe. Et cette découverte-là est importante : c’est la mise au jour d’une vrai communauté naissante. Tous ne viendront pas tous les dimanches à la messe. Peu importe. Mais je pense que cela va porter du fruit dans le futur. Laisser le temps au temps plutôt que de remplir des espaces !
Quel est ton plus grand souhait pour notre Unité Pastorale dans les 2 à 5 ans à venir ?
Justement, créer une communauté qui se fait signe d’une commune-union et d’une véritable Unité Pastorale qui révèle ce qu’est l’Eglise dans son être profond : un sacrement de l’unité. Ce qui n’empêche pas que chaque clocher puisse avoir sa spécificité avec ce qui s’y passe, et les gens qui y sont. Mais une communauté chrétienne qui est vivante et qui a le désir de célébrer cette vie de communauté à l’occasion des célébrations Eucharistiques (ou suivant d’autres formes), c’est là vraiment mon plus grand désir. Le deuxième est d’éveiller les vocations baptismales. Ce qui peut être la suite logique de ce que je viens de dire. J’y tiens beaucoup et je crois qu’il y a une là priorité à donner. On se plaint toujours qu’il n’y a pas assez de prêtres. Mais au lieu de se plaindre il faudrait peut-être se poser des questions. Les questions sont parfois posées ; mais les réponses ne sont pas toujours justes. On dit c’est parce qu’il n’y a pas assez de « chrétienté », parce qu’on n’élève plus les enfants comme de bons petits chrétiens, parce qu’il n’y a plus à l’école de véritable enseignement de la religion. Oui, ok, mais ce monde-là est passé. Mais par contre il y a des baptisés ! Alors il faut s‘intéresser à eux, aller à leur rencontre dans leurs préoccupations d’aujourd’hui, en rencontrant leur recherche de sens et leurs interrogations sur la foi, sur l’avenir de la société, sur leur avenir et celui de leurs enfants. Leur permettre de prendre conscience qu’ils ont un rôle à jouer dans l’action pastorale dans le monde qui les entoure et pas uniquement à l’Église. Vivre son baptême quoi ! Alors, tu vois Julie, je crois que nous aurons plus de baptisés qui seraient prêts à répondre un jour « Me voici », à l’appel du Christ et de l’Église.