Avez-vous compris ? Êtes-vous surs ?
Il y a peu de temps j’esquissais ici une approche mariale du retable de Saint-Marc en vous disant que pour moi il est un véritable mille-feuille de sens et de lectures qui se révèlent au gré de nos états spirituels.
Je me propose maintenant au temps de l’Ascension de repartir pour une balade sur le thème
La révélation du Tombeau vide et l’Ascension de l’absent
La Foi et la Loi. La Femme et l’Homme.
Avant de commencer je voudrais saluer mon personnage préféré dans ce retable. Je l’ai mis en tête de cet article. Il se trouve sur le bord gauche du tableau de l’Ascension que nous allons scruter ici. Nous le verrons ce n’est pas un des apôtres. Il est là incongru en fin de lecture de l’itinéraire du retable. Il n’a pas de nom mais il est le seul à nous regarder fixement. Son regard n’est pas très tendre mais interrogateur presque scrutateur. Il semble nous dire : « Avez-vous compris ? Êtes-vous surs ? Recommencez ! ». Il m’évoque ce passage de l’évangile de Matthieu (28, 5-8) qui va nous accompagner silencieusement au cours de notre balade. :
L’ange prit la parole et dit aux femmes :
« Vous, soyez sans crainte ! Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié.
Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit.
Venez voir l’endroit où il reposait.
Puis, vite, allez dire à ses disciples :
“Il est ressuscité d’entre les morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; là, vous le verrez.”
Voilà ce que j’avais à vous dire. »
Ce retour en Galilée dans le message de l’ange est souvent interprété comme une invitation à relire la vie du Ressuscité comme Lui a relu les écritures avec les disciples d’Emmaüs, et mon ami, lui aussi, m’invite à une relecture constante.
Alors commençons notre promenade. J’ai déjà évoqué précédemment cette apparente alternance entre tableaux « Homme » et tableaux « Femme ». Homme et Femme étant entendus comme deux pôles de notre humanité intérieure. Aujourd’hui allons plus loin. En fait au-delà d’une succession linéaire en alternance nous pouvons y entrevoir de véritables couples de tableaux :
Femme | Homme | |
---|---|---|
La naissance | Nativité : Marie donne corps à Dieu en mettant au monde Jésus. | Baptême : Jean (l’ancienne alliance) met au monde l’accomplissement de la Loi, le Messie. |
Repas festif | Au cours du mariage, de l’Homme et de la Femme, Marie obtient de Jésus la transmutation de l’eau en vin pour abreuver l’humanité assoiffée. | En fêtant la Pâque, au moment de son passage, Jésus transmute le pain et le vin en son corps et son sang pour nourrir l’humanité affamée. |
L’absence | Les femmes écoutent le message de l’ange. | Les hommes entendent le message des anges. |
Nous resterons sur ce dernier couple, liturgiquement de saison, pour tenter d’en lire quelques-uns des sens qui jaillissent de leur rapprochement.
Les deux tableaux, l’un au-dessus de l’autre, décrivent la même scène spirituelle vue de deux points de vues différents.
Trois hommes, trois femmes, confrontés à la surprise et au déchirement de l’absence. Trois femmes, trois hommes, et des anges porteurs d’un message. Le message de l’ange est chaque fois le même – celui que nous avions retrouvé chez Marie – trois doigts pour les trois personnes et deux pour les deux natures du Ressuscité. Mais il est reçu différemment par l’Homme et la Femme : le geste est inversé.
Sagesse pour la Femme et Folie pour l’Homme.
Chez les femmes un ange seul et lumineux manifeste la cohésion de la Foi et l’unicité du message « … vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité … vous le verrez ». Chez les hommes deux anges sévères tentent de ramener à cette Foi la confiance pour le moins ébranlée des hommes affolés.
Pierre crie, appelle, lui le fort en gueule est perdu. Le peintre le représente devant une église, son église ou est-ce le cénacle où il ne va pas tarder à se renfermer avec les siens. L’église est un cénacle fermé tant que l’Esprit n’en a pas brisé les portes !
Ces hommes ont perdu la tête, leur Tête. Tant que Jésus est là tout est clair, ordonné, fiable à l’image des sols sur lesquels reposent les tableaux « Les Noces de Cana » et « La dernière cène ». Mais maintenant qu’il est parti, absent, le sol sur lequel ils marchent est un vrai labyrinthe. Des rochers le couvrent. Pièges pour la marche, occasions de chute. Ces blocs ne sont-ils pas les ruines de ce temple dont Il avait parlé ? Ou sont-ce les gravats de leur vision erronée du Messie ?
Revenons à ces deux anges que le peintre nous montre comme n’en faisant qu’un, puisque en fait ils sont reflets l’un de l’autre. Les hommes les voient doubles dans leur folie. Tout comme leur vision de l’ange, ils sont eux même doubles, vêtus d’une double personnalité comme le montre leurs vêtements.
Par contre le vêtement des femmes lui est sans couture, monochrome, unique, entier….
Cette vision est très personnelle mais elle vous donne un exemple de ce que ce retable peut nous révéler de ce que nous possédons en nous.
Osons aller jusqu’au bout de cette balade.
Elle nous amène à méditer la Foi dans le cadre de la conjonction de l’Homme et de la Femme, les deux pôles de notre humanité.
Dans l’ensemble du retable la Femme est celle qui entend, assume, fait sienne la Bonne Nouvelle du Ressuscité et montre le chemin. Elle ne raisonne pas, elle assume, elle prend en elle le message, le fait éclore en elle comme une évidence et elle en vit. Elle n’a besoin de rien de plus pour contempler la floraison (les seules fleurs du retable) de sa vie en Dieu. Son domaine c’est la Foi qui, la possédant toute entière, agit par elle.
C’est dans sa Foi que la Femme est action.
Même si la douleur de l’abandon et le sentiment d’échec l’affolent, l’Homme, comme l’évangéliste à la gauche du Ressuscité, écoute, prend note, rédige, raisonne, écrit des lettres, des règles et des lois. La Loi et l’Écriture, c’est son domaine. Il ne peut approcher du message sans théologie, patristique, herméneutique, exégèse. Il dissèque, analyse, discerne, théorise et ne peut croire qu’en ce qui contribue à la beauté du schéma dans lequel il insère sa Foi, dans l’église qu’il structure et conduit. Il est le sécateur sur la vigne qui coupe et jette au feu tout sarment qui semble s’écarter de ce qu’il perçoit comme étant le plan du vigneron. Il est le semeur et le moissonneur, le berger et l’ouvrier dans la vigne. Il voit les problèmes et les résout, détecte l’ignorance et la combat, voit les misères et leur prodigue son aide et en cela voit dans son action la preuve et la justification de sa Foi.
C’est dans son action que l’Homme rencontre la Foi.
L’Homme cherche le visage du Dieu que la Femme porte en elle et la Femme enceinte de Dieu parcours le chemin que l’homme aplanit et trace dans le désert pour son Dieu. Ces deux pôles qui nous habitent, se confrontent et s’unissent. Ils sont conjoints. L’un ne va pas sans l’autre et l’un n’est pas supérieur à l’autre.